Cher professeur, nous avons vécu ensemble, le temps de la maturation et de la conclusion du colloque sur le Roi Njoya en 2013. J’ai appris à connaître le savant en vous en quête des racines et des profondeurs des événements ayant marqué notre monde, l’espace africain et le proto humain, humanisant, formaté, culturant-a-culturé du negro- africain. J’ai vécu avec vous le rêve dévorant de l’appropriation de notre histoire, le rêve de paradigmes nouveaux générant les sens des faits historiques et donnant sa juste place à nos productions significatives de l’histoire. Se connaître soi-même et non par autrui, c’est la démarche de la sagesse. Et qui se connaît se dote avec bonheur des pouvoirs de sa propre culture. Il est ainsi préparé à affronter le monde et y laisser sa marque indélébile qui le singularise parmi les bâtisseurs.
Cher professeur, tu as donné une telle implication à ta démarche pour faciliter les pistes de recherches historiques. Tu as contribué à l’élaboration d’un lexique d’entendement du discours et des faits coloniaux. Tu as guidé des générations D’apprenants et de chercheurs à devenir les maîtres de leurs sujets, ceux et celles là même qui vont poursuivre l’œuvre immense d’appropriation de l’histoire africaine par les africains, et de la captation intelligente de l’histoire du monde.
Cher professeur, tu nous quitte. Mais tu as produit. Tu as construit des Hommes comme tout bon maître. Tu as rempli l’absence des sens. Tu es une présence- absence comme une hiérophante inoubliable. Nous nous retrouverons./.
Dr. KOMIDOR NJIMOLUH HAMIDOU
Ambassadeur du Cameroun en Algérie
EXTRAIT DU COLLOQUE INTERNATIONAL ROI NJOYA
LE ROI NJOYA
Créateur de civilisation et précurseur de la renaissance africaine
NOTE SYNTHETIQUE
Il était temps ! Il était temps que la nouvelle génération d’intellectuels africains reprenne le flambeau allumé dans les années 80 par les professeurs Guillaume Bwelle, Thomas et Stanislas Melome, Ebenezer Njoh Mouelle, Martien Towa, Georges Ngango, Engelbert Mveng, Martin Zachary Njeuma, Maurice Tadadjeu, Thierno Mouctar Bah. Ceux-ci s’étaient approprié le personnage du 17e roi des Bamoun, le sultan Njoya et l’histoire des Bamoun en organisant un débat académique sur l’écriture que ce souverain avait inventée, le Shu-mom.
Près d’une trentaine d’années plus tard, à l’initiative du Dr H. Komidor Njimoluh, une nouvelle génération d’intellectuels s’est retrouvée à Yaoundé et à Foumban du 27 au 30 novembre 2013 au cours d’un colloque sur le thème « La place du Roi Njoya dans l’historiographie africaine et l’impact de sa contribution sur l’évolution de la civilisation africaine ». Les membres du comité d’organisation de ce colloque ont eu l’intelligence d’associer à cette jeune génération des ainés devant lui passer le flambeau parmi lesquels les illustres Théophile Obenga, Sheila Walker, Elikia Mbokolo, Joseph Owona, Thierno Mouctar Bah.
Cet échange inter générationnel a permis d’aboutir à trois principales conclusions : Njoya est citoyen du monde (1ère partie), un homme politique (2ème partie) et un savant multidimensionnel (3ème partie).
Le roi Njoya, à travers ses œuvres, n’appartient plus, ni à sa famille, ni à son pays, ni à l’Afrique ; il appartient au monde. C’est le Pr Jacques Fame Ndongo qui a le mieux exprimé cette évidence dans son discours d’ouverture du colloque. Il déclare en effet ce qui suit : « Si un colloque sur le roi Njoya suscite autant d’intérêt au sein de la communauté scientifique, c’est bien parce que Njoya n’appartient plus à une famille, à un clan, à une région, ou à un pays. Il fait désormais partie du patrimoine matériel et immatériel de l’Afrique tout entière voire de la planète… ».
Citoyen du monde, le roi Njoya est aussi, surtout et avant tout un homme politique. C’est le 17e roi des Bamoun. Il a été désigné à cette fonction dès sa naissance et il s’en est tellement imprégné qu’il a trouvé des formules pour se faire aimer de son peuple et le protéger devant l’adversité venant de l’extérieur. Le roi Njoya a été soumis à une triple domination extérieure : allemande, anglaise et française. Comme un roseau, il a su plier quand l’adversité était forte et rester fièrement debout jusqu’à rompre lorsque l’intérêt de son peuple était menacé. Par cette attitude, il a su tenir à distance Allemands et Anglais protégeant de ce fait le peuple bamoum contre certaines rigueurs coloniales. Contre les Français qui voulaient détruire son autorité et s’en prendre directement au peuple bamoun, il s’est redressé fièrement pour faire face à cette adversité. Les autorités françaises n’eurent pour seul recours que de le contraindre à l’exil. Ce fut l’occasion pour le peuple bamoun de faire la preuve de son amour pour son souverain et n’eût été la volonté de ce dernier de ne plus voir le sang de son peuple verser pour lui, celui-ci aurait pris des armes pour empêcher cet exil. Ce peuple le suit même dans son exil à Yaoundé, amenant son « geôlier » présumé à le considérer plus en souverain en visite à Yaoundé qu’en un exilé dans cette ville.
Cette attitude politique du roseau du roi Njoya est un exemple que les Africains doivent copier : savoir plier quand les intérêts vitaux de l’Afrique sont en danger. Pour ce faire, il faudrait en permanence faire la preuve de son amour pour son peuple et son pays qui sauront rendre la pareille en cas d’adversité.
N’ayant que très peu flirté avec l’école occidentale, le roi Njoya est la preuve évidente qu’il ne suffit pas d’être aller à l’école pour devenir un savant. A partir des réalités de l’Afrique profonde, on peut en effet devenir savant. Savant, le roi Njoya l’a été puisqu’il a créé une langue, le Shu-mom ; une langue qui fait la fierté du bamoun et de l’Afrique et rectifie l’image d’une Afrique sans histoire parce que sans écriture. Il est créateur d’une religion syncrétique qui fait une synthèse entre deux religions monothéistes, l’islam et le christianisme. Il lui a donné une dénomination purement africaine, « Nwet-Kwete ». Il a été cartographe en faisant des levées topographiques afin de dresser la carte de son royaume. Il s’est intéressé à la médecine et de pharmacopée. Il a été architecte, psychiatre avec son ouvrage sur l’interprétation des rêves ; il a été créateur d’écoles pour la formation des jeunes bamoun dans des domaines variés.
L’œuvre du roi Njoya est immense et insuffisamment connue car il, est établi que cet être exceptionnel est l’auteur de plus d’une cinquantaine d’ouvrages dont seulement quelques-uns ont été traduits. Cette œuvre mérite amplement connue diffusée et il ne faudrait pas que la jeune génération d’intellectuels africains attende encore une trentaine d’années pour recommencer une « œuvre courageuse et salutaire d’exhumation et d’appropriation de Njoya… », car la renaissance culturelle doit se faire ici et maintenant. Pourquoi ne pas reprendre la vieille idée d’un Institut roi Njoya soutenue à l’époque par le défunt président sénégalais Léopold Sédar Senghor ? Ou alors prendre au mot Monsieur le ministre de l’Enseignement supérieur, Pr. Jacques Fame Ndongo qui, dans son discours d’ouverture, a avancé l’idée de « la création d’un cercle d’études et de recherches Njoya, rattaché à la Faculté des Arts, Lettres et Sciences Humaines de l’Université de Yaoundé I… ». Ceci est fort possible, car ce colloque a démontré que le 17e roi des Bamoun compte encore beaucoup d’ « Amis » en Afrique et dans le monde. Ils peuvent et doivent aider à la continuité de la recherche pour une Renaissance africaine attendue avec beaucoup d’espoirs.
Pr Daniel ABWA Professeur d’Université,               Â
Vice-Recteur de l’Université de Yaoundé I