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09.09.2006
Joseph Mfochivé : La chute prophétique d’un baobab
Depuis que le Pasteur Joseph Mfochivé a poussé son dernier souffle le 10 juillet 2006 à l’Hôpital général de Douala, son domicile, sis à la rue Alfred Saker à Akwa, au siège même de l’Eglise évangélique du Cameroun dont il était l’un des plus fervents serviteurs, ne désemplit pas. Chrétiens, amis, connaissances et membres de la famille de ce ministre du culte avaient d’abord pris d’assaut la cour de l’hôpital de référence de Douala, dès l’annonce de la nouvelle funeste. La cuisine familiale est devenue un fumoir permanent, qui restaure la meute humaine installée à la résidence du pasteur décédé des suites d’un arrêt cardiaque.
Personne de ce beau monde ne comprend quelque chose au décès inattendu de l’homme de Dieu. " Je ne peux pas accepter que le pasteur est effectivement mort ", persiste et signe une vieille dame venue de Foumban. Sangou, le chauffeur du défunt, bravant l’émotion qui l’a envahie depuis une semaine, confie qu’il se sentait mal et l’avait signifié à tout son entourage. Tout a commencé à Foumban où le Pasteur Mfochivé s’était rendu, à l’occasion des obsèques du frère de Josue Ncharé, l’un de ses amis intimes, puis celles du successeur de son grand-père, Nji Moulion Adamou, chef de 2ème degré de Baïgom.
Le Docteur Lombat de l’Hôpital de Baïgom avait en effet détecté un accès palustre chez son patient et lui avait prescrit des médicaments qu’il prenait, jusqu’à son retour sur Douala. Il n’a pu sortir vivant du malaise dont il a été pris lundi dernier, malgré son admission au service de réanimation.
A présent que la disparition du " géant protestant " est devenue un fait réel dans l’esprit de ses ouailles et de sa famille, le recueillement et la prière ont pris le dessus. Justement, les groupes de prière et chorales défilent à la paroisse, exaltent les qualités personnelles du Pasteur Mfochivé et sa dimension spirituelle. Les femmes de la Femec sont particulièrement actives, à travers leurs chants et le recueillement dont elles avaient d’ailleurs l’habitude, du vivant du chef. " Il priait tout le temps. Lorsqu’on lui exposait un problème quelconque, il proposait la prière en guise de solution ", se souvient un membre de l’Eglise évangélique du Cameroun ayant côtoyé l’homme de Dieu.
Homme d’une simplicité légendaire, sobre, sympathique, les personnes ayant connu le disparu ne tarissent pas d’éloges à son endroit. " Bien sûr qu’il en est ainsi de tous les morts ". Mais Catherine Mape, la cadette des enfants Mfochivé, dit de son père qu’il était l’ami de tout le monde. " Avant son départ pour Foumban, il m’a dit aurevoir comme un père le dit à son enfant. Rien ne laissait croire que quelque chose de grave allait se passer par la suite ", raconte-t-elle, en cachant des yeux rouges de douleur. Mais puisque le pasteur préférait la prière à tout, sa fille se souvient d’un verset biblique qui lui était si cher, et qui était sa parole de chevet et de vie : "Tu m’as persuadé Seigneur, et je me suis laissé persuader".
Sangou, son chauffeur insiste sur la passion que son patron avait pour Dieu et non pour les choses du monde. " Il n’aimait pas le luxe et adorait la simplicité ", s’empresse-t-il de préciser. Il en veut pour preuve le train de vie quotidien de " papa ". Le Pasteur Mfochivé n’avait que faire de voitures personnelles. Dans son parking, se trouvaient uniquement des véhicules de service. Serviteur de Dieu, les derniers moments de son existence sur la terre des hommes avaient tout de ceux d’un prophète. Ses proches confient qu’il ne parlait que de la mort, de la fin d’une vie pleine et bien accomplie. " Papa disait qu’il était enfin temps qu’il aille se reposer. Il ajoutait par la suite qu’un baobab allait bientôt tomber ", confie Catherine Mape.
Education
L’homme qui s’en est allé le 10 juillet dernier, à 63 ans, était effectivement un baobab de l’œcuménisme protestant. Lors de sa consécration
intervenue le 16 avril 1972 à Foumban, sa ville natale, le tout nouveau serviteur du Christ avait choisi le verset des psaumes qui marquera toute sa carrière pastorale, et sa vie dans le civil, les deux dimensions de cet homme étant confondues. "Tu m’as persuadé Seigneur, et je me suis laissé persuader ", comme il aimait à répéter. Il y a mille preuves pour témoigner de ce qu’il s’était laissé entraîner par cette passion pour Dieu et les Saintes écritures. De 1965 à 1969, le futur pasteur s’était livré à son premier vrai apprentissage, en tant qu’étudiant à l’Ecole de théologie protestante de Ndounguè. Il y fit un travail de recherche ayant pour thème "L’église en milieu urbain ". Deux années plus tard, en 1971, l’étudiant toujours à la quête de la connaissance posera ses valises à l’Institut panafricain pour le développement.
C’est là qu’il commencera à tisser la toile en vue de l’épanouissement des ouailles dont il sera quelques années plus tard le pasteur. Son mémoire de fin d’étude est d’ailleurs fortement illustratif de cette course pour la pensée : "l’orientation de l’œuvre sociale œcuménique".
Si Joseph Mfochivé aimait tant enrichir ses connaissances, qui s’étendaient de la parole biblique à l’éthique sociale, en passant par les autres formes de croyance, il aimait aussi en léguer partie aux autres. D’où son entrée fulgurante dans l’enseignement. Il a servi comme instituteur, tour à tour dans les écoles franco coraniques de Foumban et ensuite dans les écoles du Conseil des églises baptistes et évangéliques du Cameroun (Cebec). Son premier véritable poste de responsabilité lui est offert entre 1971 et 1972, lorsqu’il est nommé Directeur adjoint, puis directeur de l’œuvre sociale au Cebec.
Femec
Lorsqu’il était président de la Région synodale du Centre-Sud et Est à l’Eglise évangélique du Cameroun, beaucoup de ses admirateurs le disaient déjà voué à un avenir radieux et à un grand destin dans le milieu protestant où il avait déjà pignon sur rue. En 1999, il est élu président de l’Eec, au cours du 43ème synode général tenu à Garoua. La grande heure du pasteur avait ainsi sonné. Si bien que son arrivée à la tête de la Femec en 2003 vint juste couronner 31 années d’expérience au service des hommes et de Dieu.
Cette année là, dans une interview à notre confrère L’Appel, le tout nouveau patron de la Femec dessinait les grandes lignes de son action à la tête de cette structure où convergent les protestants de tous bords. " Notre église n’est pas encore suffisamment outillée dans certains aspects. Je pense ici à l’aspect spirituel.
Il faudra mettre l’accent sur la vie spirituelle, sur l’engagement spirituel, sur la vie de prière de nos différentes communautés ". Dans son entourage, la foi et la spiritualité sincère à laquelle le pasteur Mfochivé appelait ses frères et sœurs étant d’autant nécessaires qu’il avait été victime, à plusieurs occasions, de "la faiblesse, la jalousie et l’intolérance de ces derniers". Sa fille cadette, retenant de son père l’idée qu’il se faisait lui-même des personnes et des événements autour de lui, signale qu’il "n’avait aucun ennemi. Il se plaisait avec tout le monde. Il aimait rire et faire rire". Les 15 personnes qui vivaient sous le toit du pasteur Mfochivé affirment avec enthousiasme que ce qu’ils ont pu retenir de lui, au quotidien, "ce sont ses blagues, sa bonne humeur et surtout son attachement à l’église qu’il servait et les fidèles qu’il assimilait aux membres de sa famille".
Comme il l’avait prédit lui-même, le baobab est finalement tombé, alors qu’il nourrissait l’ambition d’évangéliser davantage ses concitoyens. Sur la façon dont il envisageait cette réforme spirituelle au niveau des fidèles, il invitait les uns et les autres à jeter un coup d’œil sur l’histoire. Référence était ici faite aux anciens missionnaires, "qui ont pu pénétrer des régions entièrement animistes". Le Pasteur Mfochivé aimait à dire que "l’évangélisation ne commencera pas avec nous". Sans doute, elle ne s’arrêtera, non plus, après sa mort.
Par Denis Nkwebo
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