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07.08.2023
AUX SOURCES : Cérémonie de jet de lances « Ma’ Nkû » ou la parade des guerriers émérites « Pa Nda N
Le samedi 05 août 2023 s’est tenue chez Nkom Mâmbafon Nji Mombé à Njinka’, sous la présidence du 20ème Roi des Bamoun, Sa Majesté Mouhammad-Nabil Mforifoum Mbombo Njoya, la cérémonie traditionnelle de jet de lances « Ma’ Nkû », retransmise en temps réel sur les réseaux sociaux.
Les spectateurs présents et virtuels ont vécu une simulation épique de la force combattante Bamoun par les « Pa Nda Njîne », successeurs des illustres guerriers du royaume, qui incarnent son passé belligérant. Maints observateurs ont exprimé le désir de comprendre les fondements de cette démonstration martiale et la logique de ses acteurs, incitant à proposer ce modeste texte, en soi perfectible.
« Pa Nda Njîne », guerriers émérites
Il est de notoriété publique que le royaume Bamoun s’est forgé dans la guerre, la conquête et l’assimilation des peuplades de la zone, par la dynastie de Nshare-Yèn. Cette histoire belligérante a connu son apogée sous le Roi Mbouombuo-Mandù, 11ème souverain des Bamoun, qui a conquis 48 tribus et élargi remarquablement l’horizon du territoire hérité de ses prédécesseurs. Ce monarque conquérant, au profil surhumain, est vraisemblablement le créateur des « Pa Nda Njine », ordre royal des guerriers émérites, inspiré du terrain des combats.
En effet, le fameux concept militaire selon lequel « le terrain commande la manœuvre », trouve son plein sens dans la pratique historique de la guerre chez les Bamoun. En fonction du théâtre et des dispositions de l’ennemi, l’armée Bamoun recourrait à une stratégie adaptée, usait d’une tactique ou d’une autre, pour vaincre l’adversaire.
Ainsi peut-on citer la stratégie du serpent à deux têtes (Nue pèt tu), consistant au dédoublement des troupes en contexte de fronts multiples et simultanés, et la stratégie de « Nsem » qui renvoie à un repli défensif avec usage de tranchées.
Au niveau opérationnel, les Bamoun usaient de plusieurs tactiques avec des unités dédiées, au nombre desquelles :
- L’unité tactique « Pa Nka’ », garde rapprochée et défenseurs du Roi par les haies, sur le champ de bataille;
- L’unité tactique « Ghâ Tùn Pit », guerriers qui prennent l’ennemi à revers ;
- Les unités tactiques combinées « Tô nyî » et « Sue pit », guerriers attaquants et embusqués ;
- Les éléments tactiques « Me Ndu’ », guerriers avant-coureurs ;
- L’unité tactique « Ghâ Gbèt Njîne », guerriers repousseurs ou renverseurs.
Cette flexibilité stratégique et opérationnelle traduit une intelligence en guerre résumée par le Roi Njoya, 17 ème souverain des Bamoun, dans son ouvrage « Histoire et coutumes des Bamoun », transcription de Libonar Oska (grand livre ), Texte 171- Page 231. Noya y écrit : « La guerre, en effet, ne se fait ni avec la force ni avec la faiblesse. Si on se jette avec force au milieu des ennemis, on est tué. Si au contraire on est faible, l’ennemi vous saisit et vous tue ». Une approche que le Politologue Pr Jean Njoya qualifie de « Smart Power » ou puissance intelligente, combinaison équilibrée du « Hard power » et « Soft power ».
Le groupe tactique « Ghâ Gbèt Njîne » (Couper et remettre), est sans doute la matrice de l’ordre royal des guerriers émérites « Pa Nda Njîne », créé par le Roi Mboumbouo. Etaient incorporés dans cette unité d’elite, les combattants Bamoun les plus coriaces et intrépides pour faire face à la situation opérationnelle la plus difficile : Repousser l’ennemi sur la ligne de front (Yîne pit).
En effet, la plus redoutable posture éprouvée par l’armée Bamoun était celle dans laquelle elle reculait sous contrainte sur la ligne de front, perdant la marge de manœuvre au risque d’être mise en déroute et de capituler. Dans cette situation critique, le haut commandement faisait monter à la charge les « Ghâ Gbèt Njîne », une sorte de joker, pour renverser la tendance. Ces combattants héroïques se découvraient à l’adversaire, se laissaient poursuivre, s’embusquaient dans les herbes et se relevaient brusquement pour tuer un grand nombre de combattants ennemis. Ainsi, les troupes Bamoun pouvaient-elles desserrer l’étreinte et reprendre l’initiative opérationnelle.
Il en ressort que les combattants renverseurs « Ghâ Gbèt Njîne » étaient les plus illustres, triés sur le volet, de par leurs capacités démontrées. Ils étaient alors nommés dans l’ordre royal des guerriers émérites « Pa Nda Njîne », par le Roi des Bamoun.
« Ma’ Nkû», parade des guerriers émérites « Pa Nda Njîne »
Le Roi Mboumbouo a institué la cérémonie « Ma’ Nkû » (jet de lances), organisée en temps de trêve, pour mettre en exergue les membres l’ordre royal des guerriers émérites « Pa Nda Njîne », les célébrer dans une démonstration publique devant les populations Bamoun qui ne vivent pas le terrain des combats. « Pa Nda Njîne » est une caste placée sous l’autorité directe du Roi, chef de guerre, qui préside la parade « Ma’ Nkû ». Celle-ci se tient dans les concessions des membres de l’ordre, en leur honneur. Lorsque que décède un membre de la caste (Mùn Nda Njîne), son successeur hérite du titre. Il a le devoir d’organiser la cérémonie de jet de lances en la mémoire de son père. La manifestation est convoquée par le Roi, assisté du Ministre de la guerre Tupanka.
Le jour venu, le Roi quitte le palais et se rend dans la concession du guerrier, généralement à pieds au rythme de « Vùm » (danse de victoire). Les « Pa Nda Njîne » ayant répondu à l’appel, accompagnent le monarque. Sur place est érigée au coin de l’esplanade et en toute sécurité, une casse-cible construite avec les rachis et feuilles de palmier et la paille.
A l’ouverture de la parade, la première lance à jeter sur la case-cible est celle du Roi. D’usage, le Roi la confie à un notable, pour ce faire. Le plus souvent à Tupanka et quelques fois à Njifonfon, de mémoire de faits vécus. Porteur de la lance royale, Tupanka ou tout autre notable mandaté, prononce généralement cette formule à répétition, ouvrant un dialogue avec les « Pa Nda Njîne » passés en revue d’un versant de l’esplanade à l’autre :
- « Yî pua Kû Mfon Pamom, yue a né tèt ngû Pamom a, ripâ nùn, mâpé nja. Ma’ ne ? » (Ceci est la lance du Roi des Bamoun qui étendu l’horizon du territoire du royaume des fleuves Noun à Ripâ, Mâpé à Nja. Puis-je la projeter ? » ;
- Een, Ma’ (oui, projettes), lui répondent les guerriers.
Sur ce, et très souvent spectaculairement, la lance royale est projetée par son porteur sur la case-cible, avec force, atteignant l’objectif en plein dans le mile. Tupanka’ se saisit ensuite du fusil du Roi, le fait piétiner par le monarque, puis tire un grand coup de feu qui ouvre le bal.
Dès lors, les « Pa Nda Njîne », sont tour à tour appelés devant la scène par Tupanka’, dans l’ordre des règnes et de leur nomination depuis le Roi Mboumbouo, pour mimer la bataille réelle. A son passage, chaque guerrier s’incline devant le Roi en guise de révérence, présente sa lance pointée vers le sol, résume les faits d’armes ayant conduit à sa nomination, s’avance au pas martial et projette sa lance sur la case-cible, sort son couperet du fourreau et retourne vers le Roi en parade ( Nkù Ma’), sonne sa cloche à cor unique (Sùre) devant le souverain sous fond d’éloges. Tous éléments constituant les attributs du notable Bamoun.
A la fin de « Ma’ Nkû », le Roi quitte la concession du guerrier et retourne dans son Palais au rythme de « Vùm », avec les « Pa Nda Njîne ». Ces derniers ont droit à un gibier offert par leur pair, hôte de la cérémonie du jour. Les neveux de la concession visitée (Pe njèt) ramassent les lances jetées et se l´approprient en souvenir.
Au fil des règnes s’est accru l’effectif des Pa Nda Njine nommés par les monarques successifs depuis le Roi Mbouombouo. Dans son ouvrage « Histoire et coutumes des Bamoun », le Roi Njoya a dressé une liste non exhaustive de 37 grands guerriers.
Plus proche dans le passé, le Roi Seidou Njimoluh Njoya, 18ème Souverain des Bamoun, a élevé à ce titre les héros de la guerre de Bamenjin (Pit Mejin), les fils Bamoun envoyés à la deuxième guerre mondiale (1939-1945) en soutien à la France dans les rangs alliés, et les notables accompagnateurs du Roi Njoya dans sa déportation en exil (Dschang et Yaoundé).
Le Roi Ibrahim Mbombo Njoya, 18ème Souverain des Bamoun, a nommé au titre de « Mùn Nda Njîne », une digne fille du Noun, Solange Pekekue Ngouh, enseignante de langues, lauréate du prix « RFI monde en français » de la Radio France Internationale en 2008. Preuve que la guerre contemporaine du royaume Bamoun, transférée sur le terrain de l’excellence intellectuelle, socioéconomique et culturelle, continue de produire des « Pa Nda Njîne » à la reconnaissance exclusive et discrétionnaire du Roi./-
Par Alexis MOULIOM NJIVAH
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